05.05.2013
Echelle de Kardashev

source: fr.wikipedia.org

L'échelle de Kardashev est une méthode générale de classement des civilisations en fonction de leur niveau technologique, proposée en 1964 par l'astronome russe Nikolaï Kardashev. Elle se compose de trois catégories basées sur la quantité d'énergie dont dispose une civilisation donnée, selon une progression exponentielle. Kardashev a présenté son échelle en 1964 lors de la conférence de Byurakan qui faisait le point sur le programme d'écoute de l'espace par la radioastronomie soviétique.
L'existence de telles civilisations reste encore très hypothétique en 2013, mais cette échelle a été prise comme base de travail par les chercheurs du projet SETI, les écrivains de science-fiction et les futurologues.


Catégories définies par Kardashev

Type I
Une civilisation de Type I est capable d'utiliser toute l'énergie disponible sur sa planète d'origine, approximativement 1,74×1016 W. Sur Terre, la puissance disponible s'élève à 1,74×1017 W. La valeur de 4×1012 W, proposée initialement par Kardashev, correspondait au niveau énergétique atteint sur Terre en 1964.

Type II
Une civilisation de Type II doit s'avérer capable de collecter toute l'énergie de son étoile centrale, soit à peu près 1×1026 W. Il s'agit là encore d'une estimation, le Soleil rayonnant environ 3,86×1026 W, tandis que Kardashev parlait de 4×1026 W.

Type III
Une civilisation de Type III a à sa disposition toute l'énergie émise par la galaxie dans laquelle elle est située, soit près de 1×1036 W. Ce niveau d'énergie varie largement en fonction de la taille de chaque galaxie, Kardashev le fixait à 4×1037 W.

Utilisation et exemples

La civilisation humaine est de Type 0, quelque part sous le Type I, puisqu'elle n'utilise qu'une fraction de l'énergie totale disponible sur Terre. Alors que l'échelle de Kardashev ne comportait pas de niveaux intermédiaires, Carl Sagan en a défini par interpolation et extrapolation des types initiaux, et il a calculé que celui de la civilisation humaine actuelle devait être 0,7 en évaluant la puissance consommée à environ 10 térawatts par la formule :

où K représente le niveau de civilisation de Kardashev et W la puissance consommée en watts. On écrit la partie entière en chiffres romains et la partie fractionnaire en décimal.
Pour parvenir au Type I sur Terre, une possibilité serait d'utiliser massivement l'énergie maréthermique, les éoliennes, l'énergie marémotrice pour extraire l'énergie solaire reçue par les océans. Malheureusement, aucune méthode connue à ce jour ne permet de collecter l'intégralité de cette énergie disponible sans recouvrir complètement la surface terrestre de structures artificielles. Compte tenu du mode de vie des humains, cela semble irréalisable dans un avenir proche. Nous sommes déjà en train de collecter l'énergie terrestre au travers des ressources renouvelables, méthode qui peut s'avérer plus durable et plus efficace que notre technologie. Si nous renonçons à remplacer complètement les ressources naturelles par des substituts synthétiques, il est possible de parvenir à une civilisation de Type I par optimisation de tout l'écosystème terrestre en vue d'un rendement maximal.
Une hypothétique civilisation de Type II pourrait construire une sphère de Dyson, ou une structure semblable, afin d'intercepter toute l'énergie émise par une étoile, ou bien, plus exotique encore, nourrir un trou noir de matière stellaire pour en extraire de l'énergie utilisable, ou bien enfin occuper plusieurs systèmes stellaires et prélever une fraction de l'énergie de chaque étoile. Une civilisation de Type III se servirait des mêmes méthodes, appliquées à toutes les étoiles d'une ou de plusieurs galaxies, ou encore de méthodes inconnues de nos jours.
Pour Kardashev, les Terriens n'étaient en mesure, en 1964, d'intercepter qu'une fuite émanant d'une civilisation de Type III, sous forme d'ondes radios ou de faisceaux laser. Au mois d'avril de l'année suivante, en 1965 donc, Kardashev croit avoir intercepté un de ces signaux dans la radiogalaxie CTA 102, et l'agence Tass publie même un communiqué sensationnel faisant état d'un message dont « l'origine extra-terrestre est vérifiée et ne fait aucun doute ». Kardashev en est pour ses frais, un astronome hollandais (Maarten Schmidt) ayant identifié quelques jours plus tôt le signal comme l'émission d'un quasar. Depuis, le silence persistant de l'univers, ou tout du moins l'absence de réception d'un signal ou d'une fuite en provenance de telles civilisations, mènera Iosef Shklovski (radioastronome russe, collaborateur de Kardashev) à conclure au suicide obligé d'une civilisation de Type III, déclaration à rapprocher du Paradoxe de Fermi.
L'« Empire galactique » rencontré communément dans nombre d'oeuvres de space opera fournit un exemple facilement reconnaissable de civilisation fictive susceptible de parvenir au Type III. Ces civilisations consomment une énergie à une échelle gigantesque, se situant entre le Type II et le Type III.

Chronologie possible
L'histoire contemporaine de l'humanité semble suivre une chronologie, esquissée ici. Ces valeurs sont des approximations de la version extrapolée de l'échelle par Carl Sagan, tenant compte d'une progression de 0,8.
Civilisation de Type 0
0,25 (3 108 W) Empire romain 0,5 (1011 W) Révolution industrielle 0,6 (1012 W)
Développement technologique de 1891 à 1938
0,7 (1013 W) xxe siècle : Armement nucléaire et Fission nucléaire 0,8 (1014 W) xxie siècle : Fusion nucléaire 0,9 (1015 W) xxiie siècle : Ascenseur spatial, création d'une Cité universelle1 transition de Type 0 à Type I : la civilisation s'auto-détruit ou parvient à une Singularité technologique
Tendances évolutives :
Niveaux technologiques croissants, niveaux de sécession croissants jusque 0,5, accroissement de la consommation énergétique et de la surface habitée
Après 0,5, niveaux de sécession décroissants

Perspectives téléologiques
Si l'on considère l'échelle de Kardashev comme un schéma prédictif, voire normatif, d'un avenir technologique attendu, plutôt que comme une simple échelle de consommation énergétique, elle en devient téléologique et nous prédit une « fin de l'histoire ». Vue comme une description du passé et de l'avenir de l'histoire de l'humanité, elle pourrait être comparée à la théorie marxiste des modes de production qui comporte aussi des propositions sur les interactions entre technologie et structures sociales, bien que sur une période plus courte.

Faiblesse de telles supputations

Il a été avancé que, comme nous ne pouvons comprendre les civilisations avancées, nous ne pouvions prévoir leur comportement. Alors les visions de Kardashev peuvent ne pas correspondre au devenir de civilisations avancées. Cet argument est développé dans l'ouvrage Evolving the Alien: The Science of Extraterrestrial Life, de Jack Cohen et Ian Stewart2. Il est aussi possible que des conditions uniques sur Terre puissent permettre à des technologies particulières de se développer rapidement, alors qu'elles auraient été retardées pour des civilisations ne bénéficiant pas de telles conditions. La liste de ces conditions présumées spécifiques à la Terre et des découvertes qu'elles ont permises est plutôt longue. En voici quelques exemples :
Une civilisation qui n'aurait pas colonisé les continents et serait restée exclusivement aquatique n'aurait pas pu découvrir le feu et serait restée ignorante dans le domaine de la sidérurgie ;
si l'invention du procédé d'électrolyse par Paul Héroult et du procédé d'extraction par Bayer n'avait pas eu lieu à la fin du xixe siècle, les technologies dépendantes de l'aluminium, telles la construction aérienne et astronautique en auraient été retardées d'autant ;
la Lune provoque les marées et protège la Terre, au moins partiellement, d'astéroïdes, de comètes et du rayonnement cosmique ;
beaucoup de découvertes furent essentiellement accidentelles, comme celle de la pénicilline. D'autres reposent sur des considérations théoriques, comme celle du transistor.
Il est possible que les conditions nécessaires à la formation des hydrocarbures, du charbon et du gaz naturel n'aient pas été remplies sur d'autres planètes. Ces combustibles fossiles furent indispensables pour nous rendre (provisoirement) indépendants du bois et des combustibles animaux. Bien que les énergies hydraulique, éolienne et solaire soient connues depuis longtemps, elles se sont peu développées jusqu'à ce que des techniques industrielles des matériaux améliorent leur rendement. Ces techniques, grandes consommatrices d'énergie, n'auraient pu être elles-mêmes développées sans source d'énergie suffisante. Une observation similaire vaut pour les réacteurs nucléaires, sources d'énergie bien plus puissantes, qui n'auraient pas été réalisables sans les combustibles fossiles, ni compris les ressources limitées en minerai d'uranium.

Contre-argument : l'abondance d'autres sources
La perception humaine reste entachée d'un biais naturel concernant les voies de développement énergétique de la civilisation humaine. Durant les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, les sociétés hyper-industrialisées ont continué de fonctionner ; beaucoup se sont tournées vers la recherche d'alternatives technologiques énergétiques à grande échelle, dans l'optique qu'elles puissent fournir l'énergie nécessaire à la poursuite du développement industriel et commercial, même si la production d'énergies fossiles venait à se tarir.
Ce développement obtenu, il est possible qu'une société puisse croître sans passer par une étape de production d'énergie fossile. Cette version de l'argumentation de Buckminster Fuller sur l'énergie solaire est conforme à l'idée de Paul Hawken d'une écologie industrielle selon laquelle l'utilisation d'énergies fossiles n'est ni essentielle ni souhaitable, étant données ses nuisances et l'existence de sources d'énergie de substitution. Les principes de fonctionnement de la pile à combustible furent découverts par Christian Friedrich Schönbein dès 1838, et que leur application par Sir William Grove débuta en 1843, bien avant la généralisation de l'utilisation des énergies fossiles autres que le charbon, ce qui rend plus plausible encore qu'une civilisation extra-terrestre ait eu recours à la pile à combustible en lieu et place des hydrocarbures. L'exploitation industrielle du pétrole, initiée par Edwin Drake, ne commença que dans les années 1850.

Implications pour les civilisations

Il existe beaucoup d'exemples historiques de civilisations subissant des transitions à grande échelle, telles la Révolution industrielle et la Renaissance. De la même manière, les transitions entre niveaux de l'échelle de Kardashev sont susceptibles de représenter des périodes troublées de bouleversements sociaux, puisqu'elles impliquent de dépasser l'obstacle que représente la limitation des ressources disponibles sur le territoire occupé par une civilisation. Une spéculation courante suggère que la transition du Type 0 au Type I comporte un grand risque d'auto-destruction puisque l'espace vital occupe entièrement la planète natale. La catastrophe malthusienne est un exemple d'une telle spéculation.
Certains auteurs ont souligné qu'une période de grand bouleversement pourrait être les prémisses d'une ascension vers une civilisation de Type I3.

Contraintes de communication
Il est coûteux, pour une civilisation inférieure au Type I, de tenter d'entrer en contact avec d'autres civilisations plus avancées, pour des raisons de puissance d'émission nécessaire. Il a été calculé que pour obtenir un émetteur fiable et suffisamment puissant pour être remarqué par une civilisation de Type II, entre 1 et 10 billions de dollars seraient nécessaires. La limite supérieure équivaudrait au Produit intérieur brut des États-Unis en 20004. Ainsi, il a été suggéré que la civilisation doit avancer largement dans le Type I avant que l'énergie requise pour un contact efficace avec une autre civilisation devienne supportable pour ses ressources économiques.
Une fois le contact établi entre les deux civilisations, et leur localisation mutuelle connue, le coût énergétique requis pour maintenir le contact et échanger des informations peut alors être significativement réduit en utilisant des technologies de transmissions très directionnelles. En 1974, le radiotélescope d'Arecibo a transmis un message qui va parcourir 25 000 années-lumière, vers l'amas globulaire d'Hercule. Une plus grande antenne et des longueurs d'onde plus courtes auraient permis à la même énergie d'être focalisée sur un objectif plus lointain encore. Le programme SETI repose largement sur de telles possibilités.

Extrapolations hypothétiques

La progression exponentielle de cette échelle incite à extrapoler des types de civilisations plus avancées encore. Par exemple :

Type IV : la civilisation contrôle toute l'énergie d'un superamas galactique (approximativement 1046 W). Dans le cas de l'humanité par exemple, il pourrait s'agir du Superamas de la Vierge.

Type V : l'énergie disponible mise sous domination égale celle de tout l'Univers visible ; soit approximativement 1056W. Une telle civilisation dépasse l'entendement scientifique et semble déjà tout à fait utopique. Il s'agit théoriquement de la barrière ultime à son expansion.

Projections imaginaires

Elles se rencontrent essentiellement en science-fiction et ne sont pas « officiellement » établies, et diffèrent donc selon les auteurs. En voici quelques exemples, qui se basent sur la théorie du Multivers :

Type VI : Une telle civilisation pourrait manipuler et altérer les lois de la physique au point d'acquérir le pouvoir de coloniser d'autres univers, et même de les aménager à son gré en manipulant leurs paramètres cosmologiques. Cette civilisation pourrait alors migrer d'un univers à l'autre au fur et à mesure de leur vieillissement, et devenir ainsi potentiellement éternelle. Le niveau énergétique de plusieurs univers additionnés pourrait s'établir aux environs de 1066 W, dans le prolongement des niveaux inférieurs. La seule frontière est désormais le potentiel total du Multivers.

Type VII : La civilisation égale désormais le niveau d'une déité, capable de créer des univers à volonté par la provocation de Big Bangs artificiels préalablement paramétrés, en tant que prolongement du Multivers5, afin de les utiliser comme sources d'énergie et zone de peuplement, après une expansion suffisante. Leur puissance énergétique est alors potentiellement infinie, seulement limitée par le nombre et la taille des univers qu'elles sont en mesure de créer. Elle pourrait s'élever à la hauteur vertigineuse de 1076 ou même 10100 (googol) W. Une civilisation de ce type serait vraisemblablement immortelle, migrant perpétuellement d'un univers à l'autre et créant toujours de nouveaux univers en prévision de sa prochaine migration. La seule limite qui demeure est sa capacité à accroître ou conserver la masse totale de l'énergie existante, d'univers en univers : la moindre déperdition d'énergie la condamne, tôt ou tard, à se retrouver dans l'incapacité de créer à terme des univers de taille suffisante pour subvenir à ses besoins énergétiques et démographiques, la contraignant à l'arrêt de sa croissance, voire à la décroissance, jusqu'à extinction. La nouvelle de science-fiction d'Isaac Asimov La Dernière Question met en scène un exemple d'entité possédant la technologie d'une civilisation de Type VII6.
Évidemment, on pourrait encore imaginer l'existence de plusieurs Multivers, ouvrant de nouvelles possibilités de développement à la civilisation, et ainsi de suite suivant un processus de mise en abyme. La conclusion à tirer est donc que, en l'absence d'équilibre entre ressources et besoins, une civilisation tend forcément à une expansion sans fin.
Futurs hypothétiques[modifier]

La science-fiction à l'origine de ces projections imaginaires nous propose aussi des indications sur les hypothétiques changements à venir correspondant aux valeurs fractionnaires de l'échelle de Kardashev. Voici un futur possible, dont les propositions s'appuient sur la littérature scientifique. L'article de Nikolai Kardashev sur L'Inévitable et les structures possibles des supercivilisations, où il expose qu'une consommation d'énergie croissante conduit à une progression technologique, à une cohésion diminuée et à une fluctuation de la probabilité de survie et de contact, est une explication de cette section. Les articles Cosmologie et Civilisation et Transmission d'information par les civilisations extraterrestres mentionnent également ces civilisations et leur transformation. L'essentiel de ces explications peuvent être consultées dans Énergie et culture qui développe plus en détail le contenu du présent article. Il est consacré à l'aspect théorique des tendances évolutives des civilisations plus avancées avec une description de chacun des types. Cette section suit le schéma original sans le citer mot pour mot.

Type I

Michio Kaku cite Dyson qui estime que la terre aboutira à une civilisation de Type I vers 2200, en se fondant sur une extrapolation du taux de croissance actuel de la consommation énergétique de la planète.
Type I : Colonisation complète de la Terre (orbite incluse)
de (1016 W à 1019 W) entre (1020 W et 1023 W) jusque (1024 W à 1026 W) (discutable)
Colonisation et anthropisation avancées de la quasi-totalité du globe terrestre et de son orbite, exploitation minière de la Lune et des géocroiseurs. Implantation des premières colonies sur les autres Corps célestes du système solaire. Premier voyage interstellaire (Ex: vers Alpha du Centaure). Tensions provoquées par la taille de la civilisation pouvant aboutir à une sécession en plusieurs civilisations planétaires -- régression depuis une civilisation en début de type I.7 Début de la construction d'une sphère de Dyson, d'un disque d'Alderson, ou de l'Anneau-Monde. Premières missions d'exploration interstellaire automatisées.

Tendances évolutives :
Niveaux technologiques croissants, extension de l'exploration spatiale, sources d'énergie spatiales, multiplication des foyers de civilisation non terrestres, consommation énergétique croissante, extension de la surface habitée
Décentralisation croissante, différenciation des sociétés par rupture des liens sociaux causée par les décalages temporels des communications

Type II

Selon Kaku, Kardashev aurait prévu le développement d'une telle civilisation vers 5200.
Type II : Colonisation complète du Système solaire
de (1026 W à 1029 W) entre(1030 W et 1033 W) (discutable) jusque(1034 W à 1036 W) (discutable)
Exploration et colonisation avancées de presque tous les Corps célestes du système solaire, achèvement d'une Sphère de Dyson permettant l'exploitation directe du rayonnement solaire. Implantation des premières colonies sur les autres systèmes de la Bulle locale, puis de tout le Bras d'Orion, avant d'occuper progressivement toute la galaxie. Ingénierie stellaire et propulseur Shkadov, premier voyage intergalactique (Ex: vers le Grand Chien) . Tensions provoquées par la taille de la civilisation pouvant aboutir à la sécession des différents systèmes planétaires en plusieurs civilisations -- régression en une civilisation mono-stellaire. Premières missions d'exploration intergalactique automatisées.

Tendances évolutives :
Niveaux technologiques croissants, croissance exponentielle du nombre de systèmes colonisés. Civilisation centralisée qui draine toujours plus de ressources d'autres systèmes inhabités -- conduisant à une expansion toujours plus grande
Décentralisation, probabilité croissante de sécession en systèmes isolés. Si non équitablement réparties, les ressources peuvent être à nouveau l'objet de conflits armés.

Type III

Selon Kaku, Kardashev prévoyait le développement de ce type de civilisation vers 7800.
Type III : Colonisation complète de la Voie lactée
de (1036 W à 1039 W) (discutable) entre (1040 W et 1043 W) (discutable) jusque (1044 W à 1046 W) (discutable)
Exploration et colonisation avancées de presque tous les systèmes planétaires contenus dans la Voie lactée, exploitation énergétique de la quasi-totalité de ses étoiles. Exploitation notamment de la gigantesque force gravitationnelle de Sagittarius A*. Implantation des premières colonies sur les autres galaxies du Groupe local, puis de tout le Superamas de la Vierge. Premier voyage vers un autre Superamas galactique (Ex: vers le Superamas de l'Hydre-Centaure). Hautement hypothétique, à partir d'ici plus aucune suppostion ne peut être faite pour les niveaux supérieurs. On peut toujours faire l'hypothèse du schéma classique de sécession des différentes galaxies colonisées. Premières explorations automatisées d'autres Superamas.

Tendances évolutives :
Niveaux technologiques croissants, les systèmes centralisés drainent progressivement toutes les ressources des systèmes non encore exploités -- conduisant à une expansion croissante
Ralentissement de la croissance dans les galaxies colonisées à cause des vitesses limitées rendant la centralisation impossible

Type IV et V

Probablement vers 9000/10000 pour le Type IV et environ 12000/13000 pour le Type V.
Type IV : Colonisation complète du Superamas local (1046 W à 1056 W). Poursuite des expéditions à des échelles cosmologiques plus grandes encore, telles que le Complexe de superamas Poissons-Baleine puis d'autres grandes structures de l'Univers.
Risque de divergences génétiques à l'intérieur de l'espèce humaine. Fuite possible hors de l'univers à travers un trou noir artificiel8. L'exploration spatiale tend à toucher aux confins de l'Univers.

Type V : colonisation de tout l'Univers visible sans jamais parvenir à son achèvement9 (1056 W à 1066 W). Unité de la civilisation improbable. Prospection sur d'éventuels espaces au-delà de l'Univers. Risque de disparition des civilisations, faute de ressources.

Type > V

Prédictions hautement spéculatives
Possibilités aussi nombreuses que les théories proposées sur l'extérieur de l'Univers. Dans le cas du Multivers, conservation du principe d'exploration et de colonisation comme précedemment exposé, et ainsi de suite indéfiniment sur les échelons cosmologiques supérieurs, dans l'optique d'une expansion sans fin.

Valeurs actuelles


Projection de l'Échelle de Kardashev jusqu'en 2040
Voici les valeurs passées et prévisionnelles de la production énergétique planétaire données par l'Agence internationale de l'énergie :
Année Production énergétique Équivalent fractionnaire
de l'échelle de Kardashev

exajoules/an térawatts Quads10 mteps11
1900 21 0.67 20 500 0.58
1970 190 6.0 180 4500 0.68
1973 260 8.2 240 6200 0.69
1985 290 9.2 270 6900 0.70
1989 320 10 300 7600 0.70
1993 340 11 320 8100 0.70
1995 360 12 340 8700 0.71
2000 420 13 400 10000 0.71
2001 420 13 400 10000 0.71
2002 430 14 410 10400 0.71
2004 440 14 420 10600 0.72
2010 510 16 480 12100 0.72
2030 680 22 650 16300 0.73

Exemples de différents types de Kardashev dans les oeuvres de fiction

Les auteurs de science-fiction n'ont pas écrit leurs oeuvres avec l'échelle de Kardashev en tête, aussi l'estimation des types, ci-après, n'est ni définitive, ni complète, ni absolue. Les civilisations sont classées dans le type dont elles respectent à peu près les critères, et sont en transition, à un stade plus ou moins avancé, vers le type suivant.

Type Zéro (En voie d'aménagement de la planète-mère12)
Vingt Mille Lieues sous les mers, Voyage au centre de la Terre, De la Terre à la Lune de Jules Verne13.

Type I (aménagement de la planète-mère terminé/expansion vers le reste du système planétaire)
3001 : l'Odyssée finale, de Arthur C. Clarke
Les Fontaines du paradis, de Arthur C. Clarke
La Trilogie de Mars, de Kim Stanley Robinson
« The Empire of Man » du CoDominium, de Jerry Pournelle
Espace, de Stephen Baxter. Les Êtres-humains ont installé des colonies sur plusieurs planètes, lunes et astéroïdes du Système solaire, avec l'aide des Gaijins (robots auto-répliquant).

Type II (aménagement du système planétaire terminé/expansion vers le reste de la galaxie)
L'Anneau-Monde, de Larry Niven
L'Étoile de Pandore, de Peter F. Hamilton
La Fédération des planètes unies, dans Star Trek, avec une taille caractéristique du Type II avancé
The Forge of God, de Greg Bear
L'empire féodal du Cycle de Dune, de Frank Herbert
Espace de Stephen Baxter. Les Gaijins, Les Incendiaires, et de nombreux autres civilisations de la Galaxie s'étendent dans la Galaxie en colonisant chaque système stellaire et en exploitant leurs ressources.
Universal War One, de Denis Bajram

Type III (aménagement de la galaxie terminé/expansion vers le reste de l'Univers)
Le Cycle de Fondation, d'Isaac Asimov
La Culture, de Iain M. Banks
Le Cycle de l'Élévation, de David Brin
Les Inhibiteurs de L'Espace de la révélation, de Alastair Reynolds
Les Extra-terrestres de l'univers alterne dans l'épisode Tunnel at the End of the Light de la série TV Andromeda de Gene Roddenberry
La civilisation galactique de Star Wars, de George Lucas, de taille caractéristique du Type III
L'Alliance des quatre races dans l'univers de fiction de Stargate
L'Imperium (Warhammer 40,000)

Type IV et Type V (aménagement du superamas galactique, voire de l'Univers terminé)
Les Xeelee, de Stephen Baxter
Les Dieux eux-mêmes, d'Isaac Asimov (difficile de fixer un type précis)
L'homme à la fin de The Last Question, d'Isaac Asimov
Le Continuum Q, dans Star Trek
Les Danseurs de la fin des temps de Michael Moorcock
Les Anciens de Stargate après leur ascension, dans Stargate SG-1 (discutable, car leur existence ne se fait plus sur le plan matériel)
Les Forerunners de Halo, espèce disparue qui n'a pas eu le temps d'évoluer à un stade supérieur, bien qu'ils auraient très certainement pu le faire.
Les Précurseurs, toujours dans Halo, qui seraient au Stade 5 : traversant l'univers entier, colonisant galaxie après galaxie, tout en y insufflant la vie. Ils créaient également des matériaux hyper-denses, indestructibles. On trouve encore (dans l'univers) des ruines Précurseurs intactes et fonctionnelles, dérivant dans l'univers.

Type VI et Type VII (déité, capacité de créer des univers à volonté par la provocation de Big Bangs artificiels préalablement paramétrés)
La Dernière Question d'Isaac Asimov
La Civilisation du roman Temps de Stephen Baxter, descendants très lointains d'Homo Sapiens.
La Saga des Hommes-Dieux de Philip José Farmer.
Relations avec la sociologie et l'anthropologie[modifier]

La théorie de Kardashev peut être considérée comme l'extension d'autres théories sociales et, particulièrement, celle de l'évolutionisme social. Elle se rapproche de la théorie de Leslie White, auteur de The Evolution of Culture: The Development of Civilization to the Fall of Rome (1959). White a tenté de bâtir une théorie explicative de toute l'histoire de l'humanité. La technologie est le facteur prépondérant de cette théorie : « Les avancées technologiques déterminent l'organisation sociale », écrit White, se faisant l'écho de la thèse plus ancienne de Lewis Henry Morgan. Il propose comme mesure du niveau d'avancement d'une société la mesure de sa consommation énergétique (qui lui a donné son nom de théorie énergétique de l'évolution des cultures). Il a distingué cinq stades de développement de l'humanité. Dans le premier les hommes utilisent leur seule énergie musculaire. Dans le second, ils se servent d'animaux domestiques. Dans le troisième (que White nomme révolution agricole), ils se servent de l'énergie de la biomasse végétale. Dans le quatrième ils apprennent à extraire les énergies fossiles : le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Finalement, au cinquième stade, ils se servent de l'énergie nucléaire. White a introduit la formule : P=E×T, où E est l'énergie consommée, et T un coefficient dépendant de l'efficacité des techniques utilisant cette énergie.




24.05.2013
Les Anarchistes mystiques

source: cles.com

Les anarchistes mystiques russes

par Vladimir Bagrianski



Connaissez-vous l'histoire de l'étonnant réseau pacifiste qui osa défier Staline ? Leurs racines étaient clairement libertaires. Mais, à la différence des autres anarchistes russes, ils avaient conclu de leurs expériences que la fin ne justifie pas les moyens, que la violence sociale ne mène à rien et que la véritable révolution est intérieure. Curieusement, c'est dans l'ancienne tradition chevaleresque qu'ils allèrent puiser leurs plus belles inspirations. L'un des rares survivants du réseau, le mathématicien Vassili Nalimov, qui réussit à survivre à dix-huit ans de goulag (et dont les éditions du Rocher ont publié la première traduction en français), témoigne en 1996, à l'âge de quatre-vingt-six ans (six mois avant sa mort), en compagnie de son épouse, la poétesse Janna Drogalina..



Le monde entier croit connaître, au moins vaguement, l'anarchisme russe - ces premiers fanatiques poseurs de bombe, ces illuminés dostoïevskiens qui rêvaient de faire sauter les tsars et y parvinrent quelquefois - et l'on pense aussitôt à Michaël Bakounine, qui affronta Karl Marx au sein de la 1ère Internationale, ou au prince naturaliste et explorateur Piotr Kropotkine... Les plus célèbres de ces anars sont traditionnellement associés à un athéïsme virulent et à une activité révolutionnaire éventuellement proche - du moins au début - des bolchéviques.
Images simplificatrices. En réalité, le mouvement anarchiste russe du début du XXe siècle était beaucoup plus varié que cela, s'étalant des communautés tolstoïennes (néo-chrétiennes et totalement non-violentes) au radicalisme ultra-guerrier des partisans de Makhno, en passant par les "amis de la nature et du soleil" qui manifestaient tout nus dans Moscou en portant sur des pancartes les mots "À bas la honte !" Certes, tous ces hommes et toutes ces femmes partageaient (théoriquement) l'idée de base de l'anarchie : l'homme détient, par sa nature même, une aspiration à la liberté qu'aucun but, même le plus grand ou le plus séduisant, ne saurait mériter que l'on y porte atteinte. Tous auraient normalement dû souscrire à la devise du prince Kropotkine : "Ma liberté est dans la joie et dans la liberté des autres !"
Dès 1920, ce même Kropotkine, affreusement déçu par les bolchéviques, se met à écrire ce qui sera sa dernière et certainement plus grande oeuvre, L'Éthique (qui ne sera publié en Russie qu'en 1991), où il réussit à pousser plus avant quelques idées déjà exposées dans L'Aide réciproque comme facteur de l'évolution, livre où il avait commencé à s'attaquer au réductionnisme darwinien. À la surprise de certains de ses amis anarchistes durs, L'Éthique allait se révéler d'inspiration essentiellement chrétienne. Ce faisant, le "prince au drapeau noir" ne faisait que rejoindre un courant très vaste, bien que fort mal connu : l'anarchisme mystique. Certains se demanderont peut-être comment de tels mots peuvent se trouver réunis. En fait, cet anarchisme avait assez naturellement évolué, passant d'un mouvement purement politique, de caractère juvénile et agressif, vers un refus progressif de tout exercice violent du pouvoir, pour déboucher sur un engagement social d'essence éthique et même, finalement, sur une voie philosophique explicitement spirituelle et mystique. Formidable défi au marxisme triomphant des bolchéviques et plus généralement à l'ensemble du positivisme scientifique de l'époque, mais aussi à l'orthodoxie chrétienne traditionnelle.
On peut légitimement parler de la création, à l'époque, en Russie, d'un mouvement holistique (pour user d'un vocabulaire de notre fin de siècle) basé sur l'idée qu'une liberté totale doit résolument embrasser toutes les manifestations de la culture humaine.


Naissance d'un mouvement

Le premier manifeste de l'anarchisme mystique fut publié en Russie en 1906. Il s'agissait d'une brochure d'un certain Georges Tchulkov, lui-même influencé par le philosophe Vladimir Soloviov et par l'écrivain Dostoïevski. Tchulkov écrivait par exemple : "La lutte contre le dogmatisme dans la religion, la philosophie, la morale et la politique, voilà le slogan de l'anarchisme mystique. Le combat pour l'idéal anarchique ne nous mène pas au chaos indifférent mais au monde transfiguré, à une condition : que par ce combat pour toutes les libérations, nous participions à l'expérience mystique, à travers l'art, l'amour religieux et les musiques. J'appelle musique non seulement l'art qui nous ouvre à l'harmonie des sons, mais toutes les créativités fondées sur les rythmes qui nous font découvrir le côté nouménal (spirituel) du monde."
La publication de ce manifeste fit immédiatement scandale dans la société avant-gardiste russe. Tchulkov fut attaqué de tous côtés et eut du mal à résister à la pression. Avant sa mort, dans les années vingt, il écrivit une lettre où il disait regretter certains articles de ce manifeste, allant jusqu'à renier l'essence extrême de sa mystique.
Mais le mouvement exprimé par Tchulkov le dépassait largement. Celui qui fit réellement entrer l'anarchie mystique dans la pratique sociale et politique russe fut le professeur Apollon Andrevitch Kareline.
Juriste de formation, Kareline, né en 1863, participa au mouvement révolutionnaire russe alors qu'il était encore tout jeune. Arrêté à la suite de l'affaire de l'assassinat du tsar Alexandre II, il séjourna dans la forteresse de Petropavloskaïa de Saint-Petersbourg. À sa libération, il dut s'exiler en Sibérie par deux fois. Après la révolution de 1905, il immigra en France, où il organisa une série de conférences et publia plusieurs articles. C'est alors qu'il fut initié dans la confrérie des Templiers dont il reçut la mission de créer une branche orientale (nous verrons le sens de cette étrange liaison). Kareline revint en Russie au moment de la révolution de février 1917, avec enthousiame. Vers la fin des années vingt, le dilemme devint malheureusement clair : soit continuer à participer à la construction d'une nouvelle société sur la base du bolchevisme, et dans ce cas une dictature de type matérialiste était inévitable, soit viser prioritairement l'élargissement de la conscience personnelle et le développement spirituel - dans ce cas, la rupture avec le nouveau régime était immédiat. Pratiquer et évoquer l'expérience spirituelle s'avérait en effet beaucoup plus dangereux que prévu, les bolchéviques utilisant le mot "mystique" comme une injure et toute l'atmosphère intellectuelle russe passant peu à peu sous la domination des sociologues rationnalistes vulgaires.
Membres éminents de l'intelligentsia russe ouverte aux idées les plus modernistes, les anarchistes mystiques avaient pourtant considéré la révolution comme un événement naturel et inévitable, une révolte légitime contre la violence multiséculaire régissant toute la société slave. Mais ils estimaient que la révolution n'aurait guère de sens si elle ne changeait pas la nature profonde de l'homme, son fond spirituel. Dans une démarche quelque peu comparable à celle des francs-maçons préparant la Révolution française, bien que de façon sans doute plus romantique, ces intellectuels avaient nourri d'immenses espoirs pendant plusieurs décennies. Tout s'écroula en peu d'années. La "dictature du prolétariat" révéla bientôt son vrai visage grimaçant. Le mouvement vers la liberté conduisit au chaos sanglant que l'on sait.
Comme la plupart des anarchistes russes, Apollon Kareline avait espéré que le coup d'État d'octobre 1917 serait le début d'une grande révolution sociale. Si l'historien américain Paul Avrich a pu écrire que Kareline devint alors l'"anarchiste officiel des Soviétiques", c'est que, pendant quelque temps, il dirigea un petit groupe d'"observateurs" au sein du Soviet Suprême de l'Union Soviétique. Le but de ce groupe était l'humanisation du pouvoir d'État, le combat contre la peine de mort et contre la terreur en général.
Probablement à cause de l'existence de ce groupe, les communistes tolérèrent les anarchistes mystiques un peu plus longtemps que les anarchistes politiques. Pourtant, dès 1920, toutes les illusions de Kareline s'étaient envolées. En pleine montée de la "Terreur Rouge", alors que socialistes et anarchistes commençaient à remplir à nouveau les prisons de l'empire, il écrivit avec courage un article contre la peine de mort, où il osa proclamer que la révolution avait été "anéantie" par les Bolcheviques, et que son propre humanisme était nourri d'idéaux chrétiens.
Pour lui, il s'agissait de fonder sur l'éthique chrétienne une nouvelle forme d'organisation de la cité, de dépasser l'intolérance entre religions et de s'ouvrir aux sciences pour rendre à chacun la possibilité d'une perception personnelle du monde.
Les nouvelles catacombes

Kareline disait souvent à ses élèves : "En exil, j'ai vu l'ignorance terrible des peuples et j'ai compris que les immenses forces sombres qui soutiennent le pouvoir s'appuient sur cette ignorance." Avec le développement vertigineux de la technique, le pouvoir étatique était devenu monstrueux. Le but concret de l'anarchisme mystique était clairement de préparer l'humain à la liberté et à la responsabilité d'une nouvelle culture non étatique. Pour cela, Kareline pensait que la question vraiment urgente était d'approfondir le christianisme, hors de toute institution religieuse, en revenant aux origines. Et de fait, les anarchistes mystiques allaient se trouver contraints de retrouver la clandestinité des catacombes. Pendant les années vingt, on les voit encore parfois en public. Ces enseignants, ces scientifiques, ces artistes constituent un réseau qui touche beaucoup de grandes villes de Russie. Leurs contacts avec toutes sortes de mouvements culturels et spirituels non confessionnels sont nombreux. S'ils font régulièrement des conférences, écrivent des articles, leur mode d'expression favori est le théâtre. Ils écrivent et jouent des pièces qui constituent des sortes de Mystères médiévaux, adaptés au monde moderne. À partir des années trente, tout le mouvement devenu hors la loi, les "Mystères" en question se dérouleront dans une totale clandestinité. Combien sont-ils ? On ne le saura sans doute jamais ; la peur (hélas fondée) d'être infiltrés par les agents du Guépéou puis du NKVD, ancêtres du KGB, les oblige en effet bientôt à utiliser plusieurs noms pour désigner leur mouvement et à brouiller les pistes de façon d'autant plus indéchiffrable pour nous aujourd'hui, que la plupart des membres actifs du réseau furent exécutés ou s'éteignirent dans les camps.
Que font-ils ? Leurs activités sont multiples mais viennent toutes se nourrir à ce rituel commun : le "Mystère". Purement oral, tant par précaution vis-à-vis de la police que par tradition didactique, l'enseignement spirituel de ces anarchistes mystiques était prodigué lors de réunions qui se tenaient dans des appartements privés et ne comptaient jamais plus de dix personnes. Cet enseignement reposait essentiellement sur le récit de contes et de légendes.


Une certaine idée de la chevalerie

Kareline lui-même connaissait plus de cent légendes. Après sa mort, en 1926, on ne retrouva pas le moindre bout de manuscrit dans ses affaires personnelles.
Il s'agissait surtout de ne pas figer l'enseignement, mais de garder les esprits en mouvement créatif constant. "Pas de base écrite !
La pensée anarchiste doit rester libre et ne se laisser enchaîner par aucun dogme !" Qu'une de ces légendes tombe dans les mains de non-initiés ne présentait pas de grand "danger" (sauf à titre de preuve pour la police) - leur compréhension subtile n'étant de toute façon possible que dans l'atmosphère créée par la méditation... Les réunions se déroulaient en quatre temps :
les animateurs commençaient par raconter une ancienne légende généralement issue de la tradition gnostique.
puis venait une séance de méditation - dont le protocole, seul texte lu aux participants, était détruit immédiatement après lecture.
à la suite de quoi, chacun pouvait déclamer ses propres créations.
la réunion se terminait par une discussion libre.
L'essentiel tenait à ce que chacun était totalement libre d'interpréter les textes et légendes à sa façon et de les intégrer selon son bon vouloir, comme autant d'impulsions à son développement personnel. Les contes étaient considérés comme des métaphores de nouvelles conceptions du monde. La tâche créative de l'élève consistait à faire émerger de l'ancien texte sa propre nouvelle vision, de manière adaptée à la nouvelle situation - vieux principe gnostique, qui sous-tend toute la transmission orale dans l'ancien christianisme. Le fait que ces visions et ces légendes soient transmises oralement entretenait un dynamisme particulier. Le conteur pouvait par exemple métamorphoser le texte entier par sa simple intonation. L'attention la plus importante était accordée aux questions des participants.
Beaucoup de légendes se rapportaient au temps de la chevalerie - de celle du roi Arthur à toutes celles que les croisades ramenèrent de leur contact avec l'ésotérisme oriental. Kareline, disions-nous avait donc été initié au gnosticisme au sein d'un Ordre Templier durant son exil en France, quelques années avant la Première Guerre mondiale - à une époque où, pour la première fois, des femmes venaient d'être admises à l'intérieur de cette très ancienne confrérie. Vue depuis la France de 1996, pareille alliance entre anarchisme et tradition templière peut nous sembler étrange, pour ne pas dire franchement antinomique. Notre vision est déformée par de sombres dégénérescences, tant du côté templier que du côté anarchiste. Les vrais anars sont évidemment fidèles à l'idéal chevaleresque ! Afin de donner une idée du type d'engagement que son initiation avait impliqué chez lui, voici selon quels critères Kareline définissait une authentique appartenance à la chevalerie :

N'accepter aucun ajournement ni compromission de l'éthique chrétienne.

Développer une haute maîtrise de soi, physique et morale, ainsi qu'une conscience claire de sa propre dignité.

Savoir déployer une vision mystique du monde, pour être conscient de la nature spirituelle de toute manifestation de la réalité.

Attiser sa soif profonde de retrouver les origines de l'Univers.

Deux particularités du gnosticisme : il embrasse tous les héritages archétypiques de l'humanité sans limite dogmatique, se voulant le système philosophique le plus libre qui soit ; il est fondamentalement non-violent. Revenons un instant sur ce second aspect.


La force de la non-violence

René Guénon, le fameux chercheur soufi, fut parfois appelé "le Templier du XXe siècle" - lui aussi avait été initié au sein de cet ordre, dont il était un éminent représentant de la branche occidentale. Il se trouve que l'enseignement de Guénon justifie à plusieurs reprises l'usage de la violence. Pour les anarchistes russes, cela rendait cet enseignement inacceptable. Les représentants de la branche orientale considéraient en effet que le combat pour la liberté de l'individu ne pouvait en aucun cas justifier la moindre violence organisée. Étudiant le développement du bolchevisme en Russie, du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, il leur était aisé de constater que, chaque fois, l'asservissement le plus avilissant était parti d'une savante justification de la violence "pour le bien de l'individu et de la société." La violence représentait, pour les anarchistes mystiques, le danger de toutes les formes de pouvoir. Or, aucune révolution n'avait échappé à la tentation du pouvoir. Quant aux Templiers acceptant la violence, on sait qu'il s'en trouva jusque parmi les fondateurs du nazisme.
Après la mort de Kareline, son élève Alexi Solonovitch, mathématicien et philosophe, devint l'un des principaux animateurs des cercles anarchistes mystiques.
Contrairement à son maître, Solonovitch laissa quelques traces écrites - que son propre élève, Vassili Nalimov, a récemment retrouvées dans les archives du KGB. Parcourant des manuscrits intitulés Le Christ et le christianisme, ou L'Anarchisme mystique, ou encore Un Culte de deux millénaires derrière Michaël Bakounine, on découvre une problématique fort charpentée sur la non-violence, assez bien résumée dans la citation suivante :
"Le principe de non-violence est, pour l'essentiel, le principe de plus grande force, car une force gigantesque est nécessaire pour agir dans la non-violence. C'est pourquoi les anarchistes veulent la force mais pas le pouvoir, ni la violence."
Solonovitch écrivait aussi : "Il faut savoir comprendre chaque homme en se mettant dans sa peau. Cette compréhension est une voie de co-expérience, de joie partagée et de compassion." Ou : "La liberté est la seule forme acceptable dans laquelle on peut penser Dieu." Ou encore : "Les plus grands idéaux éthiques se sont manifestés dans trois grandes religions à caractère universel : celle du Bouddha, celle de Krishna et celle du Christ. Il faut simplement nettoyer ces religions des interférences et parasites apportés par leurs fidèles, sincères ou non..."
Arrêté une troisième fois en 1930, Solonovitch mourut en prison, en 1937, à la suite d'une terrible grève de la faim. Après son arrestation, c'est sa femme Agnia, mathématicienne, qui le remplaça au sein du mouvement anarchiste. C'est elle qui initia Vassili Nalimov - l'homme qui nous rapporte cette étonnante saga. Agnia fut arrêtée à son tour en 1936 et fusillée un an plus tard, à la suite d'une parodie de procès qui dura, montre en main, deux minutes.
Dans l'Évangile apocryphe de Philippe, on trouve cette phrase : "Tant que sa racine est cachée, le mal est fort." Les anarchistes mystiques voulaient mettre à nu cette racine, en démontant notamment la supercherie d'une dictature sanglante supposée servir le bien social et le monde. Ils le payèrent cher. Accusés de "terrorisme", huit autres dirigeants anarchistes mystiques furent arrêtés en même temps qu'Agnia Solonovitch et jugés par une instance militaire de la Haute Cour d'URSS - inutile d'insister sur l'ineptie de l'accusation. On ignore combien de membres de leurs cercles furent arrêtés à la même époque. On sait seulement qu'un groupe important fut condamné au goulag ; parmi eux figurait Vassili Nalimov, qui eut la "chance" d'être réhabilité après dix-huit ans de camp de travail forcé. Soixante ans plus tard, il est celui qui cherche à nous passer le relais.


Le passeur de relais

Nalimov commença à fréquenter les cercles anarchistes mystiques à l'âge de dix-sept ans. Durant toute son enfance, il avait eu sous les yeux un modèle d'anarchisme profondément naturel : celui de son père, professeur d'anthropologie à l'Université de Moscou. L'anarchisme de ce dernier se manifestait dans le respect absolu de l'autre, caractéristique probablement liée à ses origines : il était fils d'un chaman d'une petite peuplade du Nord de la Russie, les Komi. Après un conflit personnel avec Staline, Vassili Nalimov père fut arrété, accusé d'activités contre-révolutionnaires et exécuté en 1939. Vassili Nalimov fils ne fut réhabilité lui-même qu'en 1957, après dix-huit ans de captivité. Pendant tout ce temps, il réussit à conserver intacte sa passion pour les mathématiques, à un niveau supérieur où elles pouvaient se métamorphoser en quête spirituelle. Malgré son isolement, il faut croire que le bagnard était doué : son "approche probabiliste de la conscience" intègre sans problème, non seulement toute la philosophie classique, de Socrate à Kant, mais propose des convergences fortes avec la théorie du chaos et celle des structures dissipatives - à cette importante différence près qu'il se situe toujours dans une perspective transcendentale. Laissons donc la conclusion à ce rare survivant d'une des plus grandes sagas spirituelles du siècle.
"En ces temps difficiles et compliqués, où beaucoup de gens ont l'impression que la philosophie s'est arrêtée, je m'efforce de créer un courant de pensée philosophique que nous pourrions appeler " Vision du monde probabilistiquement orientée". Cette tentative est très naturelle de nos jours, dans la mesure où le paradigme conceptuel contemporain a commencé à se détourner du déterminisme dur en direction d'une compréhension probabiliste du monde.
"Un trait particulier de mon approche est une aspiration à l'intégralité. Je cherche à fonder ma spéculation sur toute la diversité de la culture contemporaine, sans perdre de vue les grandes cultures du passé. Pour cela, je fais appel : d'une part à de nombreuses branches de la science (les mathématiques, la physique théorique, la linguistique, l'étude des religions comparées), d'autre part aux processus irrationnels profonds de notre conscience, dont l'expérience mystique, notamment la mienne propre. Ces idées fort diverses se diffractent à travers le prisme de la pensée philosophique, et ceci depuis Platon.
"Si l'on peut parler d'une "idée russe" réellement originale dans les temps modernes, ce n'est pas par le messianisme léniniste qu'il faut évoquer, mais l'anarchisme mystique, dont les représentants furent notamment : Razine et le père Abakan, Lermotov et Tolstoï, Kareline et Solonovitch, Sakarov et Nalimov, mon père. Je pense qu'aucune "réforme" ne peut sauver la Russie de la crise. L'esprit russe à besoin de vivre à l'air libre. Le communisme en cassant cette liberté a cassé l'homme lui-même. Que faire aujourd'hui ? Nous aimerions penser que le mouvement oecuménique nous amènera vers une religion universelle permettant l'expression de toutes les théologies personnelles.
La pierre qui a fait trébucher le christianisme fut la tentation du pouvoir, puisque deux millénaires se sont écoulés dans la violence au nom du Christ - pourtant Jésus avait renié le pouvoir. Aujourd'hui, les techniques sont devenues de tels outils de violence qu'ils menacent de détruire l'humanité, la nature, la terre elle-même. La culture du XXIe siècle ne peut être qu'une culture de non-violence."

À lire :

Cet article s'inspire de plusieurs entretiens avec Vassili Nalimov et de la lecture de trois de ses livres non traduits du russe : Suis-je un chrétien ? in Revue annuelle n° 3, éd. Péligrim, 1995 ; Le traité d'amour , in La Montagne sacrée n° 3 éd. Péligrim, 1995, ainsi que de L'Anarchisme insulté , par Janna Drogalina, in Le Pouvoir de l'Esprit n° 2, Moscou, 1996.
Paul Avrich, The Russian Anarchism, éd. Norton, New York, 1978.
Kropotkine Piotr, L'Éthique (en russe), éd. Politizdat. Moscou, 1991. L'Aide réciproque comme facteur de l'évolution (en russe), Saint-Petersbourg, 1904.
Tchulkov Georg, On Mystical Anarchism (en russe), in Russian Titles for Specialists,n° 16, Lethworth (GB), 1971.








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